Oraison funébre du Capitaine Coignet.

Jean-Roch Coignet est de ceux qu’on ne présente plus, et son nom éveille assez la curiosité pour que les moindres détails concernant sa vie ou sa mort nous semblent intéressants.
On sait que ces dernières années s’écoulèrent dans un café d’Auxerre, avec les habitués duquel il passait du temps à d’interminables parties de manille ou de piquet, Lorédan Larchey, nous apprend aussi, qu’il avait légué une somme de 600 francs à ses partenaires pour festoyer après ses funérailles et célébrer sa mort par des chansons en guise d’oraison funèbre.
C’est une de ses chansons, la seule peut-être qui ait été composée pour remplir le vœu du brave Coignet, que nous avons retrouvée.
Elle se chante, naturellement, sur l’air très connu du Vieux Sergent, de Béranger et de tant d’autres complaintes militaires de l’époque.

Souvenir à Jean-Roch COIGNET
Capitaine de la Vieille Garde.
Premier soldat décoré aux Invalides
Officier de la Légion d’Honneur
Mort à Auxerre le 10 décembre 1865
A l’âge de 90 ans.

Chanté au banquet de funérailles donné à ses amis. Selon ses dernières volontés.

Il fut, dit-on, d’usage aux temps antiques
De célébrer la mort des vieux soldats
Par des festins, agapes héroïques
Où l’on chantait leur glorieux trépas
Que ce banquet soit la sainte hécatombe
Du bon vieillard qui veut nous convier !
Un souvenir…à ce soldat qui tombe,
Des vieux Grognards peut être le dernier

Il est parti, ce soldat d’un autre âge,
Age de fer et siècle de géants !
Il est mort calme et plein d’un froid courage,
Comme mourraient les hommes de son temps !
Depuis dix ans il avait fait sa tombe ;
Longtemps la mort à paru l’oublier…
Un souvenir…à ce soldat qui tombe,
Des vieux Grognards peut-être le dernier !

Il fut du temps des soldats d’Italie,
Héros sans pain, déguenillés, fameux,
Que ces trois mots : Gloire, Honneur et Patrie !
Enivraient tous comme un vin généreux !
A notre époque où toute foi succombe,
Ah ! respectons leur talisman guerrier !
Un souvenir…à ce soldat qui tombe,
Des vieux Grognards peut-être le dernier !

Il vous disait, les paupières fermées :
« Je vais enfin revoir mon Empereur !
« On l’a nommé, là-haut, Dieu des armées. »
D’un vieux soldat, sainte et naïve erreur !
Erreur…Pourquoi ? Si plus loin que la tombe
Il est pour nous un monde hospitalier !
Un souvenir…à ce soldat qui tombe,
Des vieux Grognards peut-être le dernier !


V. CLAUDE.